Quatre lettres

avril 2023

En cette période de soulèvement populaire justifié, de combat pour les plus précaires et cette pauvre planète qui nous héberge, j’ai quelques scrupules à écrire ce texte pour vous donner de mes petites nouvelles. Mais il y a la grande histoire, et les minuscules. Les nôtres. Elles ont toutes leur place, je prends celle-ci pour garder trace de ces précédents mois, avec un peu de contexte et mettre une touche plus lumineuse sur cet épisode de mon existence.

La dernière fois que j’ai publié sur cet espace, c’était fin juillet 2022 pour informer mes quelques lectrices et lecteurs du peu de probabilités que ces carnets accueillent de nouveaux billets, sauf nécessité absolue que je n’imaginais pas à cette date.

Il n’y a pas de nécessité absolue, mais je n’ai toujours pas d’autre chez-moi sur la toile. C’est un chantier en cours, je n’ai pas trouvé suffisamment d’énergie pour le mener à bien. Trop ambitieux ? Peut-être. Je vais revoir mes exigences à la baisse. En attendant, pour toutes ces raisons et bien d’autres, j’ai décidé de publier ce billet ici. Si vous ne me connaissez pas, vous pouvez passer votre chemin, il s’adresse uniquement à des personnes avec lesquelles je suis en relation et qui, pour certaines, se questionnent à mon sujet. Et en plus c’est long… (± 10 min de lecture)

Ce n’est pas un secret ni une révélation, depuis quelques mois déjà j’étais très fatiguée et d’humeur plutôt instable (oui, je m’essaye aux euphémismes). J’avais besoin de faire un break. Je n’imaginais pas à quel point.

Je suis en arrêt de travail depuis bientôt 3 mois, après avoir évité de peu l’hospitalisation et une fin de partie prématurée. C’est maintenant beaucoup plus sereine que j’écris ces lignes et que je m’apprête à reprendre mes activités professionnelles dans les prochains jours.

J’ai eu la chance durant cette difficile période, d’être entourée de l’affection de mes proches et d’amitiés sincères, mais également d’avoir rencontré un psychiatre et une neuropsychologue qui m’ont beaucoup aidée au moment où j’en avais le plus besoin.

C’est une vache qui demande à sa copine : « Ça te fait pas peur, toi, la vache folle ? » L’autre répond : « Ah je sais pas, je suis un lapin. »
Cet interlude vous est offert par un mien ami qu’on ne présente plus.

J’ai régulièrement depuis l’adolescence été sujette à des épisodes dépressifs, jamais très graves, souvent courts et saisonniers et toujours traités efficacement par des doses plutôt légères d’antidépresseur pendant quelques semaines. Rien d’extraordinaire au XXIe siècle.

J’attribuais cela, pêle-mêle, au compte d’une sensibilité et d’une émotivité trop forte, d’une tendance à me fatiguer vite en période très active, d’une faible résistance au stress, d’une endométriose sévère qui m’a valu quelques interventions chirurgicales et castrations chimiques pouvant aggraver la dysphorie, mais aussi d’un héritage génétique du côté paternel auquel il ne me semblait pas pouvoir faire grand chose.

Depuis 2 années cependant, les épisodes dépressifs s’étaient rapprochés et intensifiés. Plus longs, plus rudes, parfois très rudes, avec une traîne de mélancolie, un fond d’angoisse souvent présent et des difficultés à donner le change, que je vivais mal.

Pourtant, après quelques décennies de vaches maigres, mon niveau de vie s’était grandement amélioré ces 15 dernières années. Mon travail me plaisait de plus en plus, je voyageais régulièrement, je vivais dans un endroit agréable, une grande maison, un immense jardin… Je ne trouvais aucune explication raisonnable à cette tristesse, cette asthénie et ce manque d’enthousiasme. Ce qui rajoutait un gros sentiment de culpabilité bien inutile.

C’est le corps qui a parlé en premier, ou a donné l’alerte plus exactement. Un corps douloureux, de plus en plus, par périodes successives. Troubles musculo-squelettiques, maux de tête, douleurs articulaires, douleurs dentaires, etc. se relayaient sans répit. Je me suis équipée d’un poste de travail digne de ce nom, d’une chaise ergonomique, installée confortablement dans un nouveau bureau. Rien n’y a fait. Le grand air, l’exercice modéré, la natation en eau douce et les antalgiques m’apportaient parfois du soulagement. Mais pas assez pour que ce soit confortable au quotidien.

La dépression s’est installée, jusqu’à devenir majeure et nécessiter un repos total.

J’étais épuisée physiquement et psychologiquement. Ma dernière participation à un événement rassemblant un grand nombre de personnes m’avait laissée exsangue (bien qu’aidée par quelques pilules miracles qui avaient permis une fois encore de faire illusion).

Je ne voulais que solitude et silence pour toute compagnie.

Puis je ne voulus plus rien.

Le compagnon de toujours réussit à me convaincre de me rendre au premier rendez-vous que j’avais pris par mail quelques semaines auparavant avec un psychiatre. Une amie soignante me l’avait recommandé pour sa très bonne réputation. Il commença par traiter la dépression à l’aide de molécules et des dosages plus adaptés à mon état que ce que m’avait prescrit mon généraliste (qui avait cependant fait le nécessaire pour que je tienne jusque-là).

J’avais compris qu’il ne s’agissait pas simplement de quelques petites périodes de spleen passagères ni d’un burn-out dû à une trop grosse charge de travail. Je savais que quelque chose ne tournait pas rond depuis plus longtemps. J’avais, les mois précédents, vécu des moments très difficiles qui m’avaient replongée dans une histoire familiale me conduisant à redouter une maladie ou des affections mentales sévères. Après avoir disqualifié quelques pathologies je m’étais bien fait peur avec un auto-diagnostic foireux et plutôt inquiétant.

Ne faites pas ça, s’il vous plaît, c’est dangereux, je n’en aie été que plus angoissée et fragile. [1]

Mon nouveau psychiatre élimina cette hypothèse ainsi que quelques troubles courants, lors des premières consultations. Tout en insistant sur la nécessité de soigner cette dépression, il prenait des notes, me posait parfois des questions qui me semblaient incongrues puis levait le sourcil l’air interpellé. Un vrai changement par rapport à la précédente psychiatre qui à plusieurs reprises durant les années précédentes, m’avait dit que j’allais bien, et que je ne devais pas m’en faire, tout en me rédigeant une petite ordonnance de « pilules vie en rose ». Celui-ci semblait faire parfaitement son travail quoique manquant beaucoup trop d’humour à mon goût quand mes réponses se voulaient drôlatiques.

Ou peut-être est-ce parce que je n’étais pas bien drôle à ce moment que je n’ai pas réussi à lui décrocher un sourire ? Je ne dormais plus sans aide chimique depuis de longs mois. J’avais perdu pas mal de poids en quelques semaines et j’avais des yeux de vieux cocker fatigué. Charmant tableau n’est-ce pas ? Le pire étant que le peu d’estime de moi que j’étais parvenue à garder au fil des ans avait fondu comme neige au soleil de la canicule et les rayons d’automne avaient fini de résorber la petite flaque.

J’étais devenue incapable d’aller de l’avant et de m’accorder la moindre indulgence, je ne trouvais plus grâce à mes yeux dans aucun domaine.

Courant décembre, au cours d’un entretien, il avait fait une hypothèse de diagnostic, et m’avait demandé dès que je m’en sentirais le courage de lire un ouvrage pour lui dire ce que j’en pensais. J’étais sceptique, très sceptique. J’avais rencontré des personnes (des copains de sexe masculin) qui avaient reçu le même diagnostic et je ne m’y retrouvais pas du tout et puis c’était un peu trop le truc à la mode sur les réseaux sociaux, pour être honnête…

Le repos aidant, pendant ma semaine de congés fin décembre, j’ai lu le livre. Et ce fut un choc. Plus j’avançais, plus je me retrouvais, plus je n’en croyais pas mon soulagement. Mon scepticisme était bien ébranlé, mais, méfiance, méfiance. Je sais que le biais de confirmation est d’autant plus présent que l’on est désespéré et que l’on cherche des réponses. C’était très perturbant et je ne voulais pas croire à un diagnostic qui se serait avéré erroné par la suite.

J’ai sollicité celui qui me connaît le mieux pour lire cet ouvrage également et lui ai demandé d’être le plus objectif possible.
Il confirma mon impression et je crois que son soulagement fut aussi profond que le mien, tant il avait été inquiet pour moi et enfin rassuré par le fait que j’aie une piste sérieuse.

Début janvier, le médecin insista pour me mettre en arrêt de travail, arguant du fait que j’avais vraiment besoin de repos et de sommeil et que je ne m’en sortirai pas sans cela. Il avait raison bien sûr et je dus bien l’admettre, je ne m’en sortais pas.

Je fus arrêtée jusqu’au 28 février puis l’arrêt maladie fut prolongé ensuite.

J’ai passé les premières semaines à m’essuyer les yeux, à me moucher, à me lamenter sur mon triste sort et ma vie ratée. Je ressemblais à une espèce de chiffon froissé et bien usé et mon cerveau à une éponge mal essorée. Après 3 semaines de traitement et de repos, je me sentais déjà mieux. Je n’oubliais plus de manger, je pouvais de nouveau lire pendant quelques dizaines de minutes, mais j’étais toujours incapable de faire des efforts physiques ou mentaux aussi peu soutenus soient-ils.
En février nous avons convenu qu’il serait utile que je fasse un bilan avec une neuro-psy spécialisée. J’avais besoin d’être sûre de ce diagnostic et même si le professionnel de la profession avait l’air convaincu de ne pas se tromper, il commençait à me connaître et sentait bien mon besoin d’éliminer le moindre doute.

Un bilan médical exhaustif est venu le compléter. Entre-temps j’avais pu de nouveau faire quelques balades au lac et lire de manière un peu plus intense.

J’ai reçu les résultats du bilan psy il y a quelques jours et le trouble du déficit de l’attention sans hyperactivité depuis l’enfance est bien confirmé. TDAH pour les intimes (oui même sans l’hyperactivité on garde le H, mais on précise : sans. Va comprendre, Charles ?)

Les symptômes d’hyperactivité et d’impulsivité sont parfois moins ou plus du tout présents chez les adultes ainsi que chez les sujets de sexe féminin quel que soit l’âge. Raison génétique ou rôle social et éducation ? Les avis sont partagés. J’y reviendrai plus tard.

J’ai appris que tout au long de ma vie, j’avais mis en place des stratégies d’adaptation. Instinctivement bien sûr, comme toutes les personnes diagnostiquées tardivement ou jamais, qui bon an mal an, ont réussi à mener leur barque au fil de l’eau, parfois à contre-courant, mais pas trop loin de l’herbe verte et sous un soleil suffisamment radieux pour les réchauffer.

Cette lutte à contre-courant a sans doute usé mes forces. L’adaptation permanente et la compensation du trouble demandent beaucoup d’énergie et d’hypervigilance. Un ensemble de facteurs extérieur ont modifié et déséquilibré mon environnement ces deux dernières années, contribuant également à cet épuisement. J’en ai identifié quelques-uns et j’ai encore besoin de temps et d’accompagnement pour mieux cerner les autres et comprendre ce que je peux mettre en place pour ne pas avoir à revivre ce cauchemar ni devoir le faire revivre à celles et ceux que j’aime. J’ai toujours fait des efforts, il n’est pas question que j’arrête, mais je dois apprendre à les doser pour ne pas m’épuiser.
Il serait temps tout de même…

Je crois que c’est vraiment cela qui m’a réconciliée avec moi-même. J’ai retrouvé de la tendresse et un brin d’estime pour ce vieil animal partiellement sauvage et ses touchantes stratégies de survie pendant presque 60 ans. Pas si mal !

Ce n’est pas venu tout de suite, il m’a fallu plus de 80 jours pour m’apprivoiser de nouveau, mais j’en suis là et c’est doux.

Tout s’imbrique et prend son sens. C’est très étonnant la place de cette particularité dans mon parcours légèrement chaotique et à la marge. Comme si tout ce que j’avais entrepris, désiré, aimé, n’avait pour seule raison d’être qu’une meilleure adaptation au milieu.

Presque une sensation de ne pas s’appartenir, et de n’avoir pas fait grand-chose par choix éclairé, en fin de compte. Beaucoup moins que ce que j’imaginais. Je ne veux pourtant pas tout attribuer au TDAH. Il est une composante de ce que je suis, pas une excuse ni une injustice. Juste une étrange différence que j’ai envie d’explorer pour me comprendre et peut-être devenir une meilleure personne, plus consciente de ses faiblesses et de ses forces. L’impact de ce trouble sur la vie des personnes est très variable, avec toutefois quelques constantes que j’aborderai dans un avenir proche.
Il va me falloir identifier plus précisément ce qui peut être le fruit de comorbidités liées ou non au TDAH, ou celui d’une enfance mouvementée et de constructions en lien avec celle-ci, ou d’autres.
Le diagnostic est certes un soulagement, mais je voudrais éviter si possible d’en faire un étendard d’identité neurodivergente qui expliquerait et excuserait tout et n’importe quoi.

Ce sera long sans doute, mais j’ai toute la vie devant moi, n’est-ce pas ? (Typiquement le genre de truc qui ne dériderait en rien mon psychiatre, c’pas facile de faire l’école du rire avec un public aussi peu réceptif.)

Ce n’est que le début d’une nouvelle conscience j’espère. Je vais essayer de documenter ce parcours, cette route-là et ce qui m’y a conduite, pour moi et peut-être aussi pour d’autres. J’ai beaucoup écrit durant cette période, pas de longs textes, mais j’ai pris des notes succinctes, tenu un journal de bord, en m’observant attentivement au jour le jour.
Je vais essayer également de ne pas passer le reste de ma vie à me disséquer le nombril, j’ai perdu assez de temps à chercher mes clés, mon téléphone, mes lunettes, mon dentifrice, mon Tampax stylo pendant des décennies !
J’ai d’autres mondes à explorer, mais c’est la première fois qu’une expérience personnelle me semble intéressante à partager sur la durée. C’est surtout pour moi que cela semble utile.

Ne vendons pas la peau de l’ours, la procrastination me guette et je vais mobiliser mes forces sur le versant professionnel, dans un premier temps. Tout dépendra de ce qu’il me restera comme ressources à mettre en œuvre.

— Peut-être êtes-vous en train de lire la personne la plus tardivement diagnostiquée TDAH de France ? Il doit bien exister un record qui soit à ma portée ? [2]

Si vous êtes toujours là, merci de m’avoir lue, et de m’avoir accompagnée jusqu’ici, je suis contente de vous retrouver.

c'est un beau jour pour ne pas mourir
c’est un beau jour pour ne pas mourir
Recueil de poèmes de Thomas Vinau. 365 poèmes sous la main aux éditions Le castor Astral.
Il m’a été offert pour mon anniversaire.

[1Je me permets d’insister, si vous n’allez vraiment pas bien, contactez des personnes compétentes, à minima votre médecin généraliste qui pourra vous aider. Les réseaux sociaux, les ressources psy plus ou moins fiables et les sites de développement personnel ne sont pas vos amis dans ces cas-là, bien au contraire. Vous pourrez éventuellement trouver des pistes dans quelques ouvrages sérieux, mais pas des réponses. Faites confiance aux professionnels de santé pour cela.

[2Référence au film Les convoyeurs attendent de Benoît Mariage https://www.senscritique.com/film/les_convoyeurs_attendent/446691

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